Salaires du CAC 40 : le gouvernement passe son tour une fois de plus

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

Salaires du CAC 40 : le gouvernement passe son tour une fois de plus

Comme le souligne sans ironie Laurence Parisot, la rémunération moyenne des grands patrons du CAC 40 a diminué de 7,6% en 2012 par rapport à l’année précédente et reste légèrement inférieure à celle de 2008 : 3,3 millions d’euros versus 3,4 (Les Echos 17 juin 2013). La crise en quelque sorte ! Mais, par ailleurs, elle est tellement contente Laurence Parisot. Tellement heureuse que le gouvernement ait finalement renoncé à légiférer sur les rémunérations pharaoniques des « grands patrons ». A la place, il a même laissé le Medef et l’Association française des entreprises privées (Afep) se fabriquer eux-mêmes un code de bonne conduite sur la question. C’est un peu comme si le syndicat des chauffards était chargé d’écrire le code de la route.

Autorégulation

Depuis longtemps, à chaque fois que les pouvoirs publics envisagent une loi sur les problèmes de gouvernances des grandes entreprises, les syndicats patronaux se lancent dans une course de vitesse pour proposer leur propre réglementation et s’opposer ainsi ce qu’ils dénoncent à l’avance comme un diktat du législateur. A la fin, après beaucoup de bruit et de menaces, l’arrangement est généralement de mise entre les deux parties. Ce fut le cas au début des années 2000 quand il s’est agi de modifier les règles de gouvernance entre la fonction managériale quotidienne et la représentation des intérêts actionnariaux sous la forme de conseils de surveillance. Ce fut déjà le cas sur les rémunérations : « Ces dernières semaines, le débat s'était avant tout focalisé sur la rémunération des dirigeants et la question de savoir s'il fallait ou non légiférer sur le sujet. Convaincus par l'argumentaire du patronat, les députés répondent par la négative et préfèrent s'en remettre à la toute nouvelle Autorité des marchés financiers » (Les Echos 26 novembre 2003). Et en 2008 et 2010 ce sont le Medef et l’Afep qui auto-élaborèrent dans l’urgence quelques règles sur les rémunérations sur fond de crise financière et d’échauffement de l’opinion publique. Cette fois-ci, en 2013, Bercy a très vite laissé tomber et a préféré n’intervenir qu’au travers de consultations.

Le résultat, on s’en doute, est d’une radicalité confondante. L’assemblée des actionnaires aura le droit à un vote consultatif a posteriori sur les rémunérations. Et si l’opinion est négative, le conseil de direction devra… délibérer et publier un communiqué sur les suites qu’il compte donner. On en frémit. Car, si certaines AG d’actionnaires, ici ou là dans le monde, ont protesté, à quelques rares occasions, sur les rémunérations, elles sont généralement totalement suivistes. Autre « décisions » du nouveau code : des critères de performance, des garde-fous concernant les stock-options (mais toujours sur la base d’un vote des AG d’actionnaires) ou les « welcome bonus » c’est-à-dire des primes au moment de la prise de poste. On y retrouve aussi la régulation de nombre de mandats sociaux qu’un individu peut détenir dans d’autres sociétés du même groupe ou en dehors. Absolument rien de profondément réformateur si ce n’est que le plafond de cumul de mandats intègre dorénavant les sociétés étrangères. Il est également question qu’un des représentants des salariés au Conseil d’administration fasse également partie du comité de rémunération (rien à craindre de ce côté-là quand on connait le niveau de corruption syndicale dans les grands groupes). Les entreprises devront dans leur communication financière annuelle dire si elles appliquent ou pas ce code dans sa totalité et sinon sur quels items. Et, last but not least, un Haut Comité de gouvernement d’entreprise va se mettre en place pour surveiller cette application. Comme le dit Laurence Parisot toujours aussi productive en formules étonnantes : « Nous avions le Code de la route, nous créons un gendarme ». Un gendarme mis en place par le patronat lui-même.

La puissance politique d’une nomenklatura

En quelque sorte, plus ça change plus c’est comme avant. La plus grosse rémunération d’un dirigeant en France est celle de Maurice Levy de Publicis à hauteur de 4,8 millions (salaire réputé totalement variable, ce qui n’a aucun sens car on ne l’imagine pas réduit de 60% à 80% en cas de très mauvais résultats), puis celle de Jean-Paul Agon de L’Oréal à 3,9 millions, la moitié en variable. Tout cela avant voiture, chauffeur, frais quotidiens divers payés par l’entreprise et avant rémunération des postes d’administrateurs détenus dans d’autres sociétés. Sans oublier que la question ne devrait pas seulement porter sur le salaire du président mais sur l’ensemble du top management.

On connait le discours explicatif : garder les « talents » sur notre territoire, suivre les règles de ce marché spécifique du travail au niveau planétaire, rémunérer une excellence et une responsabilité hors norme, etc. Comment faut-il traiter du problème ? Certainement pas sur le plan économique. Car, mis à part un ou deux cas, ces sommes mirifiques pèsent très peu sur le volume global de cashflow dégagé par ces groupes. La rémunération de Franck Riboud de Danone (3,2 millions d’euros) en 2012 représentait 0,15% du cashflow généré par le groupe. C’est d’ailleurs la raison principale de la passivité des petits actionnaires dans leurs assemblées générales. Si cela ne pèse pas vraiment sur les résultats globaux alors, pour le petit porteur, cela n’a guère d’importance et contribue même à son fantasme de la réussite entrepreneuriale.

Par ailleurs, si l’on basculait (par exemple) 2 millions d’euros d’un salaire patronal vers les 100 000 salariés d’un grand groupe mondial, cela ne ferait que 20 euros par an et par personne de plus à distribuer, 40 ou 50 euros si on ponctionnait proportionnellement l’ensemble du Conseil. C’est plus sur un plan moral que doit porter la contestation sociale, parce que la mesure de ces rémunérations par rapport au salaire moyen est délirante et sans aucune proportionnalité avec quoi que ce soit de rationnel. La première explication logique repose sur l’existence d’une nomenklatura qui s’auto-reproduit et fait collectivement monter les enchères. Car, de quels talents parle-t-on à de telles échelles ? Pourquoi aux confins de l’ultime centile la courbe des salaires est-elle brutalement aussi exponentielle ? Qui sont ces surhommes dont la qualification, la valeur ajoutée vaut à peu près 100 fois la rémunération médiane d’un cadre en France (y compris chef d’entreprise salarié) et plus de 50 fois celle du dernier décile des cadres ? Y a-t-il une réponse rationnelle ?

Des rémunérations en phase avec la finance

Il y en a effectivement une explication rationnelle, en rapport avec la financiarisation des grandes firmes, avec le fait que la première ambition à remplir est celle à laquelle les marchés sont suspendus : la valorisation du titre, les dividendes, les rachats d’actions, la noria des cessions d’actifs et des acquisitions qui tirent la profitabilité vers le haut. Et comme l’on parle ici de centaines de millions ou de milliards d’euros, le commandant en chef exige tout de même une… petite part ! Christophe de Margerie touche 3,2 millions d’euros pour plus de 5 milliards de dividendes remontés en 2012. Christopher Viehbacher 3,5 millions pour 3,5 milliards de dividendes, soit un millième.

Il faut s’attaquer à ces rémunérations scandaleuses, surtout que la possibilité de passer du public au privé fait également levier sur les rémunérations des patrons du public. Mais cela devrait accompagner une réforme beaucoup plus profonde sur l’usage du cashflow de ces sociétés. Plutôt que de laisser une trop belle part de celui-ci partir en fumée dans la rémunération de la rente actionnariale, il faut faire porter la contrainte sur les niveaux de fiscalités, sur l’investissement et aussi sur les rémunérations (notamment dans les pays où le coût salarial est scandaleusement bas). Voilà ce qui pourrait être une très belle décision européenne car si cette caste est aujourd’hui mondialisée elle ne l’est pas au point d’évoquer la « fuite des cerveaux » dont le Medef nous menace depuis des années. Ils fuiront aux Etats-Unis, au Canada, en Chine, en Russie ? Et bien voyons s’il y a, dans ces pays, des milliers de postes vacants à ce prix-là pour nos fuyards. Et d’ailleurs, pareilles « compétences » ne nous sont pas utiles ; les groupes qu’ils dirigent aujourd’hui reposent plus sérieusement sur des managements intermédiaires d’une toute autre qualité économique et industrielle.

Il faut donc légiférer car c’est un problème qui va au-delà de la question morale de la feuille de paye de Carlos Gosh et consort. La question posée est à quoi servent ces groupes de plus en plus massifs et que font-ils de leurs profits ? Combien payent-ils d’impôts et où ? Où investissent-ils et pourquoi ? Une fois tout cela débattu et tranché, la question de la rémunération du top 10 de leurs managements tomberait sous le sens. Si la référence de base n’est plus la satisfaction des marchés mais plutôt celle de l’utilité sociale de leur activité, alors la hiérarchie des salaires est très vite resserrée. Mais le pouvoir politique n’aime pas ces relations de causes à effets. Trop systémique pour lui !

C’est François Hollande qui dit sans rire, en hommage à Pierre Mauroy : « Réformer (pour PM) ce n’était pas renoncer. C’était réussir. Réformer, c’était se défaire de l’illusion des mots pour passer à la vérité des actes. Réformer, ce n’était pas céder à la réalité, c’était la saisir à la gorge pour la transformer ». Mais, de quoi nous parle celui-ci, qui se pose en réformateur à une époque où désormais, et il le sait, la moindre réforme progressiste nécessite un bras de fer politique avec le capital, ce qu’il ne veut justement pas ? Saisir la réalité à la gorge ? Qu’à cela ne tienne, mais à condition de comprendre la logique des faits, leur hiérarchie, leur emboitement et d’agir selon cette cohérence.

Comme le dit avec jubilation Laurence Parisot à propos du nouveau code de rémunération « Jamais le gouvernement, il nous l’a dit, n’aurait imaginé que nous allions aussi loin » (Les Echos, 17 juin 2013). Quand on voit le résultat, on oublie très vite ce bras volontaire qui aurait pris la réalité « à la gorge ».

Claude Gabriel

Salaires du CAC 40 : le gouvernement passe son tour une fois de plus
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