Ce n'est pas assez d'avoir un cerveau, il faut savoir s'en servir.
Consternant… c’est malheureusement le seul mot qui me vienne à la tête en écrivant ce billet. Beaucoup de tristesse et de ressentiment aussi. Et une sourde colère….
Clément Méric est mort sous les coups de la vermine fascistes, et au lieu d’honorer sa mémoire, je n’ai vu aujourd’hui à la manifestation toulousaine, qu’indignité, inconscience et sectarisme.
Remontons de quelques heures :
Hier syndicats et forces politiques de gauche se sont rassemblés en hommage à Clément à Montauban. Cette initiative - imparfaite, car à mon goût au départ pas assez unitaire - à quand même réunie, les syndicats Solidaires, CGT, FO, FSU, toutes les composantes du Front de gauche, les Jeunesses Communistes, le NPA (que j’ai personnellement sollicité), Montauban Citoyenne et une toute petite délégation du PS. J’espère n’oublier personne.
On m’a demandé de prendre la parole au nom de l’intersyndicale, étant syndiqué à Solidaires comme Clément… Cela ne me rend ni plus proche de lui, ni plus légitime pour en parler. Mais j’ai fini par accepter avec réticence. Personne n’a le monopole du cœur comme disait le diamantaire. Personne non plus n’a protesté quand les J-C ont demandé de prendre unitairement la parole au nom des forces politiques présentes et d’éviter ainsi l’obligatoire et interminable litanie de chaque organisation. Pourtant aucunes de nos prises de paroles n’avaient été concertées auparavant comme cela se fait systématiquement : un texte unitaire devant être avalisé par tout le monde.
Amateurisme vous me direz?
Dans l’urgence d’organiser ce rassemblement unitaire et l’émotion qui nous a tous envahis, nous ne sommes pas appesantis sur ce formalisme nécessaire. Un camarade est mort et nous n’avions pas l’esprit de chicaner sur un verbe ou une virgule. Juste nous souhaitions rendre un hommage digne et le faire tous ensemble. Et nous mettions en avant un cadre de confiance entre nous dans un tel drame.
Mais à Toulouse cela a été l’inverse. La dignité s’est évaporée en un relent de sectarisme et d’aveuglement gauchiste aussi navrant que désespérant pour notre camps social.
Les antifa (UAT), le NPA et quelques autres groupes d’extrême gauche (trotskystes, maoïstes ou anarchistes) ont refusé, non pas de mélanger les cortèges dans une alliance, même de circonstance, de montrer aux fascistes notre indéfectible unité : muraille face à leur idéologie nauséabonde et criminelle.
Non ces révolutionnaires du samedi ont refusé de faire un unique cortège : dès le départ, et durant toute la manifestation, 500 mètres ont séparé les ultra-purs, de nous… syndicats ou organisations politiques de gauche (mais sans doute pas assez d’après eux). Un cordon sanitaire, une zone de décontamination même, séparaient nos deux mondes, aidés par un impressionnant service d’ordre. 500 gugusses d'un côté et 500 de l'autre... 500 mètres plus loin! Cela aurait pu être risible, si ce n’était à pleurer. Je n'ose imaginer la joie teintée de soulagement des fachos face à une aussi faible et divisée mobilisation.
Nous sommes passés d’indésirables à pitoyables vendus, quand un des porte-parole antifa a dénoncé au haut-parleur la "récupération" de la manifestation par les partis et syndicats (1). Nous avons même dû emprunter un détour pour rejoindre la place Saint Étienne car nous étions bloqués par le cortège antifa et que les menaces en notre encontre pleuvaient. Certains abrutis, soutenus par leurs leaders, souhaitaient une bataille... entre antifascistes.
Parce qu’il était un antifa parisien, les antifa toulousains se sont donc sentis plus légitimes d’honorer la mémoire de Clément que l’Union Syndicale Solidaires ? Mais Clément était syndicaliste à Solidaires. Quelle légitimité pour le NPA qui a participé allégrement à cette mascarade ? Clément n’était pas encarté chez eux.
Au nom de « pas de récupération de la mort de Clément », ils ont récupéré cette tragédie à leur misérable compte. L’ennemi n’est plus l’extrême droite mais le Front de gauche, le PS, les syndicats, et nous... simples militants et citoyens qui venions rendre un hommage à Clément et dire non au fascisme!
Je ne suis pas le dernier à critiquer le PS et ses alliés. Lisez un peu le blog et vous verrez. Non, ces inconscients foulent un principe de base : la nécessité d'un Front unique face au racisme et au fascisme.
Cohorte de petits bourgeois sourds aux cris de souffrance de millions de travailleurs.
Dans notre tradition socialiste et plus spécifiquement marxiste, dont certains aiment tant ce prévaloir comme uniques héritiers, le Front unique est avant tout une tactique qui permet de travailler ensemble avec des militants qui ne sont pas d'accord sur tout, sans pour autant gommer les désaccords.
Oui, nous n’avons aucune confiance au PS pour transformer le capitalisme en une nouvelle société. On ne le croit même plus capable de le réformer. Cependant, des millions de travailleurs continuent à soutenir ce parti : Hollande est président de la république car des millions de travailleurs ont voté pour lui. Qu'on soit d'accord ou pas. Ou bien ils n'ont qu'à dissoudre le peuple!
Mais justement la tactique du Front unique est de proposer à ces partis de travailler ensemble dans des combats spécifiques, pour des objectifs partiels. Car nous le savons, c’est en combattant aux côtés d'un grand nombre de travailleurs qui ont encore des illusions dans les partis sociaux libéraux ou démocrates et réformistes que les révolutionnaires peuvent démontrer la validité de leurs convictions.
Mais dans leur logique pleine de sophismes, le Front de gauche = le PS = l’UMP = le FN et donc en conclusion, l’extrême droite et le Front de gauche c’est pareil : du Jean François Copé dans le texte, tous les extrêmes sont les mêmes, qui soient de gauche ou de droite.
Alternative Unitaire dans un communiqué (2), « appelle à l’unité la plus large possible pour la construction d’une riposte antifasciste d’ampleur et condamne les divisions. » mais en même temps écrit « Que les ténors du Front de gauche et du PS se soient fait huer jeudi au rassemblement en hommage à Clément Méric n’a rien d’étonnant. »
Belle condamnation des divisions. Ces révolutionnaires d’amphithéâtre doivent en fait parler d’Huer-nité! Aucune dialectique, juste de la posture un peu idéologique surtout vestimentaire.
Pour achever ce billet, je vais donc m’adresser à mes anciens camarades du NPA toulousain, surtout aux anciens "cadres" venus de la LCR. Camarades, avez-vous oublié les écrits du vieux que vous aimez tant citer ?
« (…) Il est donc nécessaire d'appliquer notre tactique de telle manière que le Parti Communiste qui est l'incarnation de l'avenir de la classe ouvrière entière n'apparaisse pas aujourd'hui - et surtout ne le soit pas en fait - un obstacle à la lutte quotidienne du prolétariat.
(...) Il doit prendre l'initiative d'assurer l'unité de cette lutte quotidienne. C'est uniquement ainsi qu'il se rapprochera des travailleurs qui ne marchent pas encore avec lui et n'ont pas encore confiance en lui parce qu'ils ne le comprennent pas.
Si le Parti Communiste ne cherchait pas à trouver les voies d'organisation susceptibles de rendre possible à chaque moment donné des actions communes concertées entre les masses ouvrières communistes et non-communistes (social-démocrates compris), il prouverait par cela même son incapacité de conquérir la majorité de la classe ouvrière par des actions de masse. Il dégénérerait en une société de propagande communiste et ne se développerait jamais en parti de conquête du pouvoir.
(…) L'unité du front s'étend-elle seulement aux masses ouvrières ou comprend-elle aussi les chefs opportunistes ?
Cette question n'est que le fruit d'un malentendu. Si nous avions pu unir les masses ouvrières autour de notre drapeau, ou sur nos mots d'ordre courants, en négligeant les organisations réformistes, partiel ou syndicats, ce serait certes, la meilleure des choses. Mais alors la question du front unique ne se poserait même pas dans sa forme actuelle.
La question du front unique se pose par cela même, que des fractions très importantes de la classe ouvrière appartiennent aux organisations réformistes ou les soutiennent. Leur expérience actuelle n'est pas encore suffisante pour les en faire sortir et les amener à nous. Il est possible qu'au lendemain des actions de masse qui sont à l'ordre du jour, un grand changement survienne sur ce point. C'est justement ce que voulons. Mais nous n'en sommes pas encore là.
(…) L'unité de front suppose donc de notre part la décision de faire concerter pratiquement nos actions, dans de certaines limites et dans des questions données, avec les organisations réformistes pour autant qu'elles représentent encore aujourd'hui la volonté de fractions importantes du prolétariat en lutte.
(…) Mais nous nous sommes séparés des organisations réformistes ? Oui, parce que nous sommes en désaccord avec elles sur les questions fondamentales du mouvement ouvrier.
Et pourtant, nous recherchons un accord avec elles ? Oui, chaque fois que la masse qui les suit est prête à agir de concert avec la masse qui nous suit, et chaque fois que les réformistes sont plus ou moins forcés à se faire l'instrument de cette action.
(…) Nous avons rompu avec les réformistes et les centristes pour avoir la liberté de critiquer les trahisons, l'indécision de l'opportunisme dans le mouvement ouvrier.
(…) C'est justement dans l'action que les grandes masses doivent se convaincre, que nous luttons mieux que d'autres, que nous voyons plus clair, que nous sommes plus courageux et plus décidés.
(…) Ce n'est pas assez d'avoir un glaive, il faut l'aiguiser, ce n'est pas assez de l'aiguiser, il faut savoir s'en servir.» Leon Trotsky dans le Bulletin Communiste (3).
Continuer à militer contre le fascisme, le racisme, le sexisme et l’homophobie. Poursuivre la lutte pour une société plus juste, plus humaine, plus égalitaire. Se battre encore et toujours pour abattre le capitalisme. Ne pas baisser la tête, non jamais. Toujours se relever après avoir mordu la poussière. Et gagner ainsi le droit précieux de recommencer.
Mais cette journée est une journée de défaite.
S.T le 8 juin 2013
1) http://midi-pyrenees.france3.fr/2013/06/08/quelques-centaines-de-personnes-defilent-toulouse-en-hommage-clement-meric-266321.html
2) http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article5364
3) http://www.trotsky-oeuvre.org/22/03/220302.html
Edit le 9/06/13 : l'article de La Dépêche.fr
Manifestation anti-fasciste : deux cortèges pour un même hommage
La manifestation antifasciste n’a pas attiré la foule hier dans le centre de Toulouse. Un millier de personnes réunies dans deux cortèges séparés pour un même rejet de l’extrême droite.
«Quand même, on aurait dû plus mobiliser. Les gens ne comprennent pas. C’est le retour de la peste brune !» Il y avait du dépit chez ce militant du Parti communiste, croisé hier rue du Rempart-Saint-Etienne, à Toulouse. Un moment symbolique de ce rassemblement antifasciste qui n’a pas vraiment mobilisé (850 participants selon la police, un petit millier en comptant large) où les deux cortèges, partis à 10 minutes d’écart depuis la place Arnaud-Bernard se sont séparés. Celui de l’ultra gauche continuant vers le monument aux morts ; celui des partis et syndicats «traditionnels», Communistes, Verts, Parti de gauche, CGT, Sud coupant par la rue du Rempart direction Saint-Étienne et la préfecture.
Deux groupes pour une même cause, résultat d’une «scission» décidée tard vendredi, après une réunion décrite comme très houleuse entre les partis «constitués» et l’ultra-gauche.
«Pas de récupération», ont martelé hier les membres du «premier» cortège (CNT, NPA notamment) qui avait appelé depuis plusieurs semaines à ce rassemblement pour dénoncer la manifestation identitaire organisée par les Jeunesses Nationalistes - finalement interdite par la préfecture vendredi.
La mort de Clément Méric, violemment agressé mercredi à Paris par des membres de l’extrême droite, a logiquement élargi la mobilisation contre le fascisme. Ce rassemblement antinationaliste s’est transformé en hommage au jeune militant «antifa», mort jeudi à l’âge de 19 ans. Et quand les partis et syndicats «constitués» manifestaient dans le calme avec des banderoles contre l’extrême droite, et quelques représentants du Parti socialiste pas vraiment les bienvenus (François Briançon, adjoint au maire de Toulouse était présent au départ du cortège à Arnaud-Bernard), les membres de l’ultra-gauche s’époumonaient pour crier : «Clément présent, ni oubli, ni pardon» ou «Clément, comme nous, était antifasciste». Ce cortège s’est finalement arrêté place Esquirol et s’est disloqué sans le moindre incident après une minute de silence, émouvante et applaudie au-delà des manifestants présents.
Jean Cohadon
Le reportage de France3.fr