Le communicant-journaliste de Brigitte Barèges aux frais de la collectivité

Publié le par Le blog de la Gauche Anticapitaliste du Tarn & Garonne

Le communicant-journaliste de Brigitte Barèges aux frais de la collectivité

Le chargé de communication de la maire UMP de Montauban l'accuse de l'avoir rémunéré, « aux frais de la collectivité », pour écrire dans deux journaux locaux des articles « pro-Barèges ». Saisie par des élus socialistes, la procureure de la République va procéder à une enquête.

Après avoir perdu son siège de députée en juin 2012, la maire UMP de Montauban (Tarn-et-Garonne) ne veut pas que la ville qu’elle a arrachée en 2001 aux socialistes lui échappe. Présidente de la fédération UMP du Tarn-et-Garonne et membre de la Droite populaire, Brigitte Barèges aurait, selon son ancien directeur de campagne, « mis en place un système de communication pro-Barèges » pour contrer l'opposition, « aux frais de la collectivité », jusqu'en décembre.

Sous contrat avec la mairie depuis septembre 2012 comme « chargé de communication », Jean-Paul Fourment affirme qu’il est rémunéré par la ville « pour faire des articles contre l’opposition », sous pseudonymes, dans deux journaux locaux. Il assure par ailleurs être devenu en septembre le directeur de campagne de Brigitte Barèges « sans contrat ». Saisie par deux élus socialistes, la procureure de la République de Montauban va procéder à une enquête.

Brigitte Barèges avait déjà fait parler d’elle à l’occasion de plusieurs polémiques. En 2011, elle lance, en commission des lois, sur l’ouverture du mariage aux homosexuels : « Et pourquoi pas des unions avec des animaux ? Ou la polygamie ? » En 2012, elle préconise la « préférence nationale » contre le chômage, puis explique, en juin, qu’elle serait « ravie » que Marine Le Pen « soit élue à l'Assemblée nationale ».

En octobre, elle refuse d’inscrire des enfants d’étrangers dans les écoles de la ville, malgré les rappels à l’ordre du préfet, de l’inspecteur de l’académie et la mise en demeure du Défenseur des droits. Vendredi, elle a suscité un tollé en parlant de son seul colistier noir comme étant « la tache (de sa) liste ». La maire de Montauban s’était aussi fait remarquer pour avoir triplé son salaire en août 2012 et pour ses méthodes locales (racontées par Mediapart dans cette enquête).

Mais lundi, ce sont pour des faits susceptibles de revêtir la qualification pénale de détournement de fonds publics que la procureure de Montauban, Alix-Marie Cabot-Chaumeton, a été saisie par deux élus socialistes. La magistrate explique à Mediapart qu'elle a « reçu un dossier et une lettre » et qu'elle va « procéder à une enquête ». Dans ce courrier, que Mediapart a consulté, la députée Valérie Rabault et le conseiller général et municipal Claude Mouchard, souhaitent « alerter » la procureure sur les faits exposés par M. Fourment « en remettant la totalité des pièces qui (leur) ont été transmises ».

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Ancien collaborateur de la ville de Paris sous Tiberi, Jean-Paul Fourment, 50 ans, a reçu en décembre une convocation pour un entretien préalable de la ville de Montauban, suite à un désaccord.

D’après les contrats de travail que Mediapart s’est procurés, il est, depuis le 3 septembre 2012, « chargé de communication au service communication », « à temps complet » à la mairie de Montauban. Un travail que la ville rémunérait à hauteur de 3070,30 euros brut, d’après son bulletin de paie.

Mais Jean-Paul Fourment affirme à Mediapart que « (son) poste à la mairie ne correspond pas au travail que la Maire (lui) a confié ». « Je n'avais pas de bureau en mairie, ni de matériel, je travaillais avec mon ordinateur et téléphone personnel, à mon domicile. Depuis septembre 2012, je fais quasi uniquement des articles politiques nationaux et locaux qui passent dans le journal local : le Petit Journal du Tarn-et-Garonne », affirme-t-il.

« Lorsqu’elle m’a embauché, elle m’a dit: "Ce que je veux de toi, c’est que tu puisses réagir à tout ce que va dire La Dépêche du Midi, et mettre en place un vrai système de communication. Donc officiellement, tu seras à la com, mais officieusement tu écriras dans Le Petit Journal et tu feras les articles que je veux que tu fasses." Et là, on part dans un délire complet, et j’y ai participé, sans en voir les conséquences. Elle a monté un système de communication pro-Barèges », avec « une stratégie organisée et structurée », relate-t-il.

Il détaille : « Madame Barèges me téléphonait et m'envoyait des mails jour et nuit, tous les jours pour me demander des articles à sa convenance et validés par elle. Ces articles paraissaient le lundi et le samedi dans le Petit Journal, signés par un pseudo – Sébastien Duhem – pour ne pas être reconnu par l'opposition. »

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Un deuxième journal « à l'initiative et sous la coupe de la maire »

Brigitte Barèges s'assurait de la large diffusion du Petit Journal, selon Jean-Paul Fourment. Il affirme que la mairie, qui subventionne abondamment le journal, en rachetait le samedi jusque « 2 000 exemplaires » et que ces numéros étaient « distribués gratuitement sur le marché de la ville ». Contacté, Alain Paga, propriétaire de ce journal décliné dans douze départements, confirme que la mairie achetait régulièrement ses exemplaires, à hauteur de « 800 à 1000 euros ».

Des élus de l’opposition avaient fait constater par un huissier cette « distribution gratuite » et le stockage de « paquets de ce journal dans un véhicule de la mairie ». Lors du conseil municipal du 19 décembre 2012, Claude Mouchard s’était étonné des « efforts de communication » déployés par la mairie et des « liens étroits entretenus avec certains médias locaux ». « C’est justement dans ce numéro (du Petit Journal, ndlr) du samedi que nous trouvons des articles laudateurs de votre action et des articles critiques et désobligeants sur vos opposant-e-s », notait l'élu. Combien d’exemplaires sont achetés et pour quel montant ? À cette question précise, Brigitte Barèges n’avait pas répondu (lire le compte-rendu de la séance).

Mais selon M. Fourment, « ce n’était pas suffisant, la maire voulait un journal numérique. Elle m'a dit : "Je vais pouvoir leur cogner dessus encore plus. Je te donnerai les thèmes, et comment il faut les traiter" ». Le chargé de communication explique qu’il a aussi réalisé, à partir d’octobre 2012, sous « différents pseudos », L’Insolent de Montauban, « à l'initiative et sous la coupe de la maire ». « Je l’écrivais également durant mon temps de travail. Ce journal diffusé sur le net tous les mercredis était de nature uniquement polémique contre l'opposition locale. »

Dans Le Petit Journal, comme dans L'Insolent de Montauban, le but est limpide : il s'agit de mettre en avant la gestion de Brigitte Barèges et de critiquer l'opposition.

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Pour appuyer ses affirmations, Jean-Paul Fourment étale ses articles politiques et les nombreux emails dans lesquels Brigitte Barèges adresse ses « demandes », « précisions » et « validations ». Ces échanges par mail entre Mme Barèges et M. Fourment, que Mediapart a consultés, ne laissent aucun doute.

« Très bon les sanglots longs », le félicite-t-elle le 26 avril 2013, en annonçant l’envoi d’« un mail de l’UDI qui peut faire un prochain sujet ». Le 16 mai, dans un mail intitulé « article fibre corriger », elle suggère : « J’aurais parlé de la préhistoire et de la modernité. C’est l’image de dinosaures que j’ai eue en voyant applaudir au premier rang leur gourou la brochette Ampociello Gonzales Mouchard (conseillers généraux de gauche, ndlr) ». Le "journaliste" s’exécute. Dans l’édition du 18 mai, les lecteurs ont ainsi pu lire que « les politiques de gauche de Tarn-et-Garonne donnent parfois l’impression d’être dans un vaste Jurassic Park, où la modernité est bannie ».

La maire restructure aussi à sa guise les articles. « La réforme des retraites début excellent mais trop long. Tu pourrais le traiter en deux parties : - composition de la commission : les dés sont pipés ; - propositions : ça continue », explique-t-elle le 19 juin au sujet d’un article intitulé « Une réforme des retraites faite par des fonctionnaires, pour des fonctionnaires ».

Aucun détail ne semble être laissé au hasard par Brigitte Barèges : « Oui mais je mettrais les photos à gauche du texte », préconise-t-elle le 11 septembre 2012, lorsque Jean-Paul Fourment lui soumet une version test de l’Insolent, « en adéquation avec ce que tu voulais ». « À la fin du premier paragraphe je rajouterais (déficit prévisionnel pour 2013 : 6,4 millions d'€ ) », suggère la maire le 11 octobre dernier ; « Tu remplaces le dernier paragraphe par une conclusion sur la crise » (16 octobre) ; « Tu as complètement zappé Pinel et le Préfet » (8 novembre).

Et l'élue n’hésite pas à distribuer les bons et mauvais points : « Je n’aime pas du tout ton deuxième article sur les élus » (30 septembre 2012) ; « Tu l'as publié sans que je l'ai corrigé. Mais je te pardonne il est excellent et mériterait Valeurs actuelles » (12 octobre 2013) ; « Cet article est vraiment à compléter » (15 octobre ); « Renvoie-le moi après correction » (18 octobre).

Alain Paga, le propriétaire du Petit journal, ne voit pas le problème. « Fourment travaille à la com de la mairie, il faisait des articles, on les prenait ou non, on était contents, il était payé par la mairie », dit-il en invoquant un « département tout à fait spécial », où « l'on est face à un monopole de presse. On est un petit groupe de presse qui survit, les trois quarts de nos journalistes écrivent bénévolement ». Questionné sur la validation des articles par Mme Barèges, il répond : « Ça, c'est entre eux. »

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« Les articles servaient exclusivement la "cause politique" de Brigitte Barèges »

« Pendant quinze mois, j’ai travaillé nuit et jour, je n'ai pris aucun jour de vacances », raconte M. Fourment. Sa compagne, Nadine Baron, confirme : « Il travaillait jusque 3-4 h du matin, il recevait des coups de fil et mails de Madame Barèges en permanence, à n'importe quelle heure. »

Le chargé de communication avait fait part de son désaccord à la maire. Dans un mail du 1er octobre 2012, il lui écrit : « Je ne comprends pas pourquoi tu veux taper aussi fort sur Claude Mouchard ! Personnellement, je ne suis pas dans la haine de l'autre, je vais faire ce que tu me demandes, après tout tu es la patronne mais tu fais une erreur (...) pratiquer comme tu le veux une information agressive ne rapporte rien... »

Les avocats de M. Fourment, Mes Jean-Robert Nguyen Phung et Cyril Caron, estiment que la maire a « mis en place un véritable système de communication parallèle ». Leur client, disent-ils, a « été "utilisé" par Madame Barèges pour animer deux leviers de communication pour son bénéfice personnel » car « les articles ainsi rédigés servaient exclusivement sa "cause politique" ». Ils soulignent « l'affectation à des tâches non conformes à l'emploi prévu » de Jean-Paul-Fourment, et notent qu'il n'a pas « rencontré les membres du service communication avec lesquels (il était) censé travailler ».

Ce que confirment à Mediapart des collaborateurs et élus. « Il n’avait ni bureau, ni téléphone, ni mail de la mairie. C’était de notoriété publique qu’il écrivait dans ces journaux, explique un collaborateur, sous couvert d'anonymat. Cela permettait à Alain Paga, qui n'avait pas de quoi payer des journalistes, d’avoir un journaliste à l’œil. »

Brigitte Barèges semblait consciente de ce problème. Dans un mail du 26 avril 2013 adressé à Jean-Paul Fourment, elle écrit : « À propos, il faut que tu négocies avec Paga une rémunération de pigiste symbolique même si tu vaux davantage (...) pour des questions de compte de campagne. En plus tu le mérites puisque tu fais vivre sa feuille de chou sur plusieurs départements. » Dans la foulée, Jean-Paul Fourment reçoit donc une rémunération du Petit Journal. « Depuis quelques mois, je le paye 500 euros par mois. Pour être carré », confirme Alain Paga.

Sollicitée lundi midi par Mediapart, Brigitte Barèges a organisé dans l'après-midi une conférence de presse spéciale, en présence d'une partie de ses élus et colistiers pour « devancer une éventuelle affaire concernant une plainte qui aurait été déposée contre elle pour détournement de fonds public (source Mediapart) ». Aucune plainte n'a pourtant été déposée.

M. Fourment a été embauché « en mairie en septembre 2012 » et était « en parallèle pigiste au Petit Journal », c'est « tout à fait déclaré », a-t-elle dit. « La justice ne me fait pas peur », « on n'a rien à se reprocher ». À un journaliste qui lui demandait si elle savait que son chargé de communication écrivait l'Insolent de Montauban, elle a répondu : « Demandez-le-lui, à lui. »

Son attaché de presse de campagne, Thierry Deville, invoque auprès de Mediapart le « double statut » de Jean-Paul Fourment, « un statut de salarié à la mairie » pour ses tâches de « communication institutionnelle » et celui « de pigiste au Petit Journal » pour ses « articles politiques ». Questionné sur l'influence de Brigitte Barèges sur le contenu, il explique : « Si le journaliste accepte d'être amendé, c'est son problème. »

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Dans ce dossier, un autre point interroge : les conditions dans lesquelles M. Fourment a exercé ses fonctions de directeur de campagne de Brigitte Barèges. Fin septembre, la candidate UMP a présenté à la presse son directeur de campagne à l'occasion du lancement de sa campagne municipale. Mais Jean-Paul Fourment assure qu'il s'est vu confier ce poste « sans contrat et sans salaire, en plus de (son) travail initial ». Il explique que son contrat de chargé de communication à la mairie a alors basculé en temps partiel. Mais d'après son bulletin de paie, son salaire n'est pas sensiblement modifié (2 936 euros brut). En interne, des collaborateurs auraient alerté la maire sur ce statut irrégulier. « Sur le contrat, je ne peux pas vous répondre. Je suis étonné », explique Thierry Deville.

M. Fourment affirme avoir manifesté à plusieurs reprises ses réticences à Brigitte Barèges. « Elle me répondait : “Et maintenant qui va vouloir de toi ? Tu continues” ou“Tu es sur la même barque, tu es obligé de rester” », rapporte-t-il. « J’ai vu le piège se refermer sur moi. Je ne savais plus comment faire. Je voulais partir mais je ne savais pas où aller », dit-il.

Après avoir signifié son envie « de ne plus écrire pour elle » en décembre, le chargé de communication a reçu une convocation pour un entretien préalable. Sa femme, sous contrat avec la ville entre octobre et décembre comme « chargée de mission “Veille de proximité” » a appris à Noël qu’elle n’était pas renouvelée. Le 10 décembre, La Dépêche du Midi annonce le « divorce » entre la candidate et son directeur de campagne.

Jean-Paul Fourment allonge la liste déjà très fournie des directeurs de cabinet et collaborateurs qui ont claqué la porte de la mairie, ou bien ont été démis de leurs fonctions par Mme Barèges. En 2011, son ancien adjoint et bras droit Pierre Poma, parti deux ans plus tôt à la suite de « désaccords », avait détaillé à Mediapart les méthodes de l'élue.

Nous avons sollicité Brigitte Barèges lundi midi, à son cabinet en mairie, pour un entretien. En réponse, nous avons reçu un sms de sa directrice de cabinet, Laurence Got Villier, nous informant que la maire « tiendra un point presse cet après-midi à 16h30, en mairie ». Nous l'avons recontactée à plusieurs reprises. C'est finalement l'attaché de presse de campagne de Mme Barèges qui nous a répondu, en fin de journée.

Mediapart avait publié en mai 2011 un portrait-enquête de Brigitte Barèges. L'élue avait attaqué Mediapart en diffamation. Le tribunal correctionnel de Toulouse avait déclaré la citation irrégulière en août 2012. La maire de Montauban avait fait appel, avant de se désister, six jours avant l'audience.

Médiapart - Mardi 18 février.

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